23 octobre 2006

Hommage à la Hongrie



Pour commémorer à ma façon l’anniversaire de l’insurrection de Budapest, parlons de l’œuvre principale d’un écrivain hongrois, Ferenc Karinthy. Ce roman se doit d’être un pilier de la littérature kafkaïenne ; rien que son titre est déjà empreint d’une inquiétante étrangeté :


Epépé.


Un linguiste prend l’avion pour Helsinki afin d’assister à un congrès. Or à son arrivée, dès l’aéroport, il se rend compte qu’il n’est pas en Finlande, et qu’il a dû se tromper de vol. En route pour l’hôtel ou il a décidé de passer la nuit, il s’aperçoit qu’il n’arrive pas à identifier le pays qui l’entoure. Pire, il ne reconnaît ni la langue, ni l’écriture, ni même le type physique des habitants. Ce qui est d’autant plus frustrant que Budaï –c’est son nom, fait mieux que parler plusieurs langues, il maîtrise plusieurs langues. Les gens autour de lui sont d’une indifférence glacée, il ne croise aucun autre étranger. Et très vite, il se retrouve piégé dans une ville immense et les évènements qui s’ensuivent tournent –forcément- au tragi-comique.


L’écriture est distanciée, factuelle, parfois teintée d’une légère ironie : le héros est toujours évoqué à la troisième personne, on ne sait rien de lui, ce qui renforce l’impression de voir une fourmi évoluer dans une labyrinthe. Le tour de force de Karinthy, lui-même linguiste de formation, est d’avoir su créer, pour les rares fois ou les autochtones s’expriment, une langue qui ne ressemble strictement à rien pour le lecteur, quelque soit sa culture d’origine.


Il a su également créer un pays, une ville, qui ne serait qu’un archétype, l’idée (au sens platonicien) de la ville moderne oppressante. Ou la solitude est d’autant plus pesante qu’elle est entourée d’une foule grouillante et perpetuelle. Surtout quand cette solitude est une solitude essentielle : celle du langage.


Parfaite fable cauchemardesque, c’est un bouquin que c’est trop d’la balle.

19 octobre 2006

La première fois...






Tout à l'heure, en sortant du metro du coté de Belleville, pour la premiere fois de ma vie, j'en ai vu une en vrai.

Elle était en noir de la tête aux pieds, d'ailleurs la seule chose qui dépassait de sa burqa était ses pieds, en baskets noires.

Et on ne voyait meme pas ses yeux, à la mode afghane. Une momie en noir. En plein Paris. Je me souviendrai longtemps de ce jour d'Octobre. J'ai peur pour la suite des evenements.

16 octobre 2006

Philip K. Dick et les joies d'internet


On ne présente plus le grand auteur de Science-fiction Philip K. Dick. On le présente quand même ? Cliquez donc sur le lien, j’ai la flemme de le présenter. J’attendrai que vous ayez fini de lire pour reprendre.


….


Voilà. Donc, en ce moment je lis un recueil de ses romans ; j’ai relu Ubik, qui est l’œuvre de K. Dick à lire si vous ne devez en lire qu’une. Mais je suis maintenant en train de lire un de ses romans qui m’étaient complètement inconnus. Il s’intitule Le guérisseur de cathédrales (1969).

On peut longtemps gloser sur le caractère prophétique de certains ouvrages de SF : celui-là néanmoins m’a paru digne d’intérêt pour vous, chers collègues internautes !!!

L’action se déroule en 2046, dans un monde unifié et réuni par un réseau planétaire de videotéléphones. Le héros exerce la noble profession –en nette perte de vitesse- de guérisseur de poterie. A défaut de clients, il vivote grâce à une pension d’ancien combattant. Il n’est pas le seul, les emplois étant rares, beaucoup de gens stagnent toute la journée dans leur cube d’habitation. Que fait il alors, pour passer le temps ? Il joue à un jeu avec des correspondants « en ligne ».

Extrait :

-Vous avez un titre pour moi ? lui demanda Joe, le stylo en attente.

-Le traducteur électronique de Tokyo a été occupé toute la matinée, répondit Gauk. Je suis donc passé par le petit qui se trouve à Kobe. D’une certaine manière, il est plus – comment dirais-je ? – cocasse que celui de Tokyo.

Il fit une pause, et consulta un bout de papier. Comme celui de Joe, son bureau consistait en une cellule, à peine meublée d’une table, d’un téléphone, d’une chaise en plastique à dossier droit et d’un bloc-notes.

-Prêt ?

-Prêt.

Joe fit une marque au hasard avec son stylo.

Gauk s’éclaircit la voix et lut son papier, un sourire tendu sur le visage ; c’était une expression doucereuse, comme s’il était sur de son coup.

-Celui-ci vient de votre langue, expliqua-t-il en respectant ainsi une des règles qu’ils avaient élaborés ensemble, l’armée éparpillée des occupants de petites cellules de petites fonctions, ceux qui n’avaient rien à faire, ni tache, ni souci, ni problème à résoudre.
Rien que le terrible vide de leur société collective, auquel chacun s’opposait à sa façon, et qu’ils exorcisaient tous ensemble au moyen du Jeu.

-C’est un titre de livre, continua Gauk. Je ne vous donnerai pas d’autre indice.

-Est-il célèbre ? demanda Joe.
Gauk ignora la question et lut :

- « Pourris le liquide stomacal merveilleux. »

-Monacal ? demanda Joe.

-Non, Stomacal.

-Pourris, réfléchit tout haut Joe. Gâte, liquide stomacal…Acide ? (il griffonna ses associations sur le papier, mais se sentait dans une impasse.) Et c’est le cerveau électronique de Kobe qui vous a donné cette traduction ? Bile, décida-t-il soudain. Gâte-bile, le merveilleux, fantastique, extraordinaire, magnifique. (Il écrivit le mot rapidement.) Gâte, ça doit être lié, Gatbi le…(Il l’avait presque.) Gatsby le magnifique, de F. Scott Fitzgerald.
Il jeta son stylo sur la table en signe de triomphe.

-Dix points pour vous, dit Gauk. (Il calcula le total.) Ca vous met ex aequo avec Hirshmeyer de Berlin, juste devant Smith de New York. Vous voulez en essayer d’autres ?
Joe répondit :

-J’en ai un. (Il sortit de sa poche une feuille pliée en quatre, l’étala sur la table et lut :) « La structure des nerfs du tout-puissant féminin. »

Il répondait à Gauk avec la chaude certitude interne d’en avoir trouvé un bon, grace au plus grand cerveau traducteur de Tokyo-centre.

Un phononyme, dit Gauk sans effort. Choline. Colline. La colline de l’adieu. Dix points pour moi. Il prit note de son score.

Furieux, Joe lança :

- « Le cochon y graine la donation épuisée. »

-Encore un bouquin de « La bête fabuleuse était la dynastie approbatrice, » dit Gauk avec un sourire béat. Pour qui sonne le glas.

-La dynastie approbatrice ? répéta Joe sans comprendre.

-Ernest Hemingway.

-Je laisse tomber, fit Joe.

Il était épuisé ; comme toujours, Gauk avait une large avance sur lui dans leur jeu mutuel de retraduire les traductions des ordinateurs dans leur langue originelle.







Etonnant non ? Des gens dans le monde entier qui tuent le temps ensemble en réseau… en essayant de comprendre les traductions loufoques des traducteurs en ligne !!! Dans un bouquin de 1969 !!!

08 octobre 2006

Nuit blanche à paris

La nuit dernière, j'ai profité de la cinquième nuit blanche de Paris. C'est à dire que j'ai profité de pleines d'animations artistiques gratuites qui duraient toute la nuit. J'en ai profité pour visiter le centre Pompidou, ou j'ai vu le deuxième festival de film par telephone portable (très arty quand même), vu un court métrage de Man Ray, et ou j'ai vu également quelques oeuvres de Constantin Brancusi.

Voici deux photos de ses oeuvres :


La colonne de l'infini.






Reflet de l'ombre de Benoit en train de photographier Leda de Constantin Brancusi refletant Benoit.


Brancusi recherchait l'épuration maximale dans les formes. Rappelons nous que Leda a été mise enceinte par Zeus qui prit la forme d'un cygne pour assouvir ses pulsions... D'ailleurs, voici la sculpture en plus visible :




Mon dieu que c'est beau la culture... :P

06 octobre 2006

A la recherche du temps qui passe (et des catherinettes)



Parmi les vieilles questions qui m'obsèdent, une est particulière : je me suis toujours demandé comment voir le temps qui passe, ou plutot le temps en action. "Operation aussi difficile que de se surprendre en train de dormir", aurait dit Raymond Queneau.

Pourtant, je me suis toujours demandé par exemple, comment on était passé du latin aqua au français eau ; le mot a été véritablement raboté (il faut dire cependant qu'entre les deux nous avons eu le vocable eve, en vieux françois ). Par contre, j'ai compris l'oeuvre du temps sur le son ca en latin, devenu cha en français : en effet chapeau vient de caput qui veut dire tête, chateau vient de castrum, par exemple. La filiation sonore n'a pourtant pas l'air évidente.

Mais il suffit de repenser à l'accent parigot classique : "je suis venu avec ma kcheupine". On tient là un véritable fossile linguistique !!! Tout comme quand le punk belge René Binamé reprend en dialecte wallon I wanna be your dog des Stooges, cela donne dji vou ièsse ti tchin.


Chien = canis -On voit bien le mot en plein rabotage (notez aussi le verbe être -iesse- qui vient directement de sa traduction esse.)


Comme quoi, on voit que les Belges sont un peuple profondement latin !!!


Car les mots sont comme des pièces de monnaie : le commerce les use et les dégrade". (Mallarmé, si vous voulez frimer)



En 1999, on a nettoyé l'exterieur de la cathedrale d'Amiens : on s'est alors aperçu qu'il y avait dessus plusieurs couches de peinture chatoyantes, vieilles de centaines d'années. La cathedrale était peinte, et avait été repeinte plusieurs fois. Or pour nous, la couleur naturelle d'une cathedrale est un blanc grisatre. Nous serions à mille lieues d'imaginer qu'elles furent des feux d'artifices chromatiques pendant des siècles. Et pourtant, c'est visible, au milieu d'une ville, une cathedrale. Elles sont restées colorées pendant des générations, sous nos yeux, et nous avons quand même oublié...Le rabot du temps a bien fonctionné cette fois.

(En fait, les couleurs sont devenues has been au XVIIIeme siècle, les ecclesiastiques ont arreté de dépenser des sous pour les renover. En plus, le gothique etait très mal vu à cette époque, et d'ailleurs le mot "gothique" était d'usage presque exclusivement péjoratif).


Bon, et le rapport avec les catherinettes ? Je me souviens avoir vu enfant un reportage sur elles : pour mémoire, les catherinettes font la fête le jour de la sainte Catherine, patronne des célibataires, car elles sont des jeunes femmes toujours pas mariées... à vingt-cinq ans.

C'était il y a seulement vingt ans, et cette tradition était encore d'actualité.

De nos jours, c'est être marié(e) à vingt-cinq ans qui est devenu exceptionnel.

Voila, nous assistons à l'extinction d'une coutume.



Le rabot du temps....